En Bolivie, todo posible, nada seguro (tout est possible, rien n'est certain), ce circuit suit ce dicton et c’est ainsi que l’on vit sa meilleure expérience du pays. C'est en se laissant porter par les peuples du lac Titicaca, en suivant leurs rites et offrandes à la Pachamama (la Terre-Mère), en acceptant l’invitation à mâcher de la feuille de coca par son voisin de bus, en marchant aux côtés des muletiers de la Cordillère Royale des Andes, en faisant la fête avec Jaime et sa famille, que l’on vit le meilleur du peuple de l’Altiplano.
C'est en nous laissant porter par l'incertain, que nous avons les meilleures surprises, les meilleures rencontres, les meilleures expériences et que notre voyage prend un tout autre sens.





Le marché de La Paz
Je survole des maisons à perte de vue, ligne bleue, ligne argentée, ligne jaune, je m'immisce au-dessus des cours intérieures, des terrasses où sèchent les vêtements traditionnels, les costumes de danse… Mes débuts en Bolivie commencent inévitablement par El Alto, la ville haute de La Paz, un bain de dépaysement, de foule, de tumulte ambiant... où je prends de la hauteur par le téléphérique, et me rends compte de l'étendue, de la mixité et de l'ampleur de la ville. Je sors à l’arrêt Sopocachi, qui deviendra mon quartier, la maison.
Nicolas Bouvier a dit : « En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c'est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. ». C’est ce que je décide de faire, me fondre dans la culture andine, entre Incas, Aymaras, Quechuas, en “jouant le jeu” de ses traditions, ses croyances, de premier abord bien éloignées de mon esprit si rationnel.
"Copacabana, copacabana, copacabana !"
Crie le chauffeur, pour rameuter, il ne partira pas tant que son minibus sera plein. Paciencia ! une des premières choses que j’ai apprises ici… mon premier défi… mais cela change la vie ! Les minibus sont peut-être mon deuxième défi. Disons que mesurer 1,77 mètres n’est pas dans la moyenne nationale, et que je fais souvent de nouvelles connaissances en m’excusant mille fois par voyage de mettre mes genoux dans le dos de mes voisins devant moi…



La route en elle-même vers le lac Titicaca est une excursion. Après les embouteillages de la sortie de La Paz et de l'Alto, me voilà partie sur une route cabossée, musique andine à fond dans les oreilles, odeur de feuille de coca mâchée dans les narines. A ma gauche, par temps clair, le Sajama, point culminant de Bolivie avec ses 6540 et quelques mètres d'altitude; à ma droite, la cordillère des Andes.
A Tiquina, tout le monde descend ! pour traverser le petit détroit en bateau. Sur le quai, je me laisse tenter par des petites fritures d’ispis du lac, relevées à l’Aji (sauce épicée). Je ne réalise pas que mon minibus est déjà sur l’autre rive... petite frayeur et petit sprint (qui ne doit pas dépasser la marche rapide, n’oublions pas que nous sommes à 3 800 mètres d’altitude) pour le rejoindre.





Au large du Titicaca
Je m’installe au marché couvert de Copacabana pour un Api con buñuelos pour le petit-déjeuner. L’Api est une boisson chaude onctueuse, typique des Andes, à base de farine de maïs violet et de cannelle. On en trouve souvent sur les marchés, accompagné de buñuelos, une sorte de beignets. Un combo très réconfortant (et calorique!) pour les petits matins frais en altitude.
Puis j’embarque sur une lancha en direction de l'Île de la Lune, la petite sœur de l'Île du Soleil, plus discrète, plus exclusive. Doña Esperanza m’accueille chez elle, dans les petites maisons, vue lac Titicaca, qu'elle a rénovées avec sa famille. Originaire des rives du lac, sur le "continent", elle me raconte qu’elle a déménagé sur l'Ile de la Lune pour son mari, originaire de cette île de 91 hectares. Elle a appris à vivre au rythme du lieu, dont elle connaît tous les secrets, dont le pouvoir de la muña, une herbe médicinale, sorte de menthe poivrée qui pousse entre 3 000 et 4 000 mètres d’altitude et soulage apparemment à peu près tout.
Je flâne sur l'île, on peut rejoindre le village de l'autre côté par la plage, pour une jolie balade. Petite baignade improvisée en chemin, oui oui ! et l’eau n’est pas si froide, promis ! et puis, le défi de se tremper si haut en altitude en vaut bien quelques frissons. Je traverse ensuite l'île par les crêtes, avec une vue à 360 degrés entre l'Isla del Sol et les Andes, dont le sommet Llampu qui domine le lac. Au détour des sentiers, je fais des rencontres inattendues de femmes avec leurs troupeaux de lamas.
En fin d’après-midi, nous préparons en famille la soupe de quinoa, riche en protéines, légumes et arômes locaux, pour le dîner.
"En mer matelot… ou presque !"
Je rejoins Santiago de Okola et ses familles de pêcheurs et d'agriculteurs, de l’autre côté du lac. On embarque sur un de leur catamaran fabriqué par la communauté. En naviguant sur le lac Titicaca, on se croit dans un autre espace-temps, c’est si tranquille, paisible, et à la fois si impressionnant, de part la symbolique mais aussi les montagnes majestueuses des Andes autour.
Pour déjeuner, j’hésite entre la trucha du lac au beurre, à l'ail, à la tomate, ou à la llajwa - sauce piquante incontournable des Andes... ou encore un céviche de poisson frais au lait de tigre et maïs sauté… vivant dans un pays sans mer, les occasions de manger du poisson sont rares, j’en profite.



Je passe la soirée dans le village. Je partage quelques verres, et goûte aux soirées festives andines. La règle d’or, avant de porter un verre d'alcool à sa bouche, est d’en verser quelques gouttes sur le sol. Cette coutume est directement liée au culte de la Pachamama, à qui l'on réserve cette première gorgée en signe de respect et de révérence. Très bien chère Terre-mère, santé ! (mon esprit rationnel s'estompe au fil des jours… et des verres me dites-vous ?)
Pour la petite histoire (c’est important !), divinité centrale de la cosmogonie andine, la Pachamama est, dans les religions précolombiennes d'Amérique du Sud, la "Terre-Mère" qui régit l'environnement de l'être humain dans sa totalité (au plan matériel comme au plan spirituel). Divinité sans temple ni aucune sorte de lieu de culte, on peut lui rendre hommage à n'importe quel moment et en tous lieux.



La Pachamama, reine de la Cordillère Royale
Je continue mon périple vers la Cordillère Royale. Jaime et Marisol me reçoivent chez eux à Tuni, un hameau aymara à 4 400 mètres d’altitude, en plein coeur de la Cordillère, au pied des glaciers et sommets enneigés, habité par une dizaine de familles.
La culture Aymara si singulière, attache énormément d'importance à la solidarité et à la vie en communauté. Elle repose sur quatre piliers fondateurs : la communauté, les fêtes, les rites et la Pachamama (je l’avais dit, c’est important).
Les traditions ancestrales aymaras y sont encore très présentes et la communauté de Tuni s’engage à les faire perdurer et les partager. Pas de mise en scène, de déguisements, la famille Quispe m’ouvre ses portes et me laisse vivre quelques jours avec eux, en toute simplicité, avec la Pachamama au centre des croyances et offrandes.
Ici on se laisse vivre au rythme de la Cordillère, et on a devant soi, le choix des découvertes. C’est bien pour cela que je ne m’en lasse jamais et que j’ai adopté les lieux comme deuxième maison.
Une vie au pied des glaciers
Aujourd’hui, envie de crapahuter vers de hauts sommets enneigés?
Jaime, qui est guide de haute montagne formé par des instructeurs de Chamonix, m’emmène en trek autour des lagunes et du Condoriri. Nous préparons ensemble l’itinéraire, le matériel et les denrées et nous prenons place aux côtés des muletiers. Ils vont accompagner notre périple au pied des glaciers avec notre caravane de mules. Je m’essaie muletière, pas sereine dans les manœuvres, c’est un vrai savoir-faire de guider les mules et les hommes dans les pierriers et les passages escarpés.



Et puis non en fait, envie de me poser et de découvrir la vie "à la local" ?
Vicky m’embarque au village, dans son école. Je tente un cours de langue aymara. Mon ambition est d’apprendre secrètement leur langue, pour pouvoir enfin comprendre en douce ce qu’ils peuvent bien se raconter… j’ai encore du travail !
Je me propose ensuite comme commis de cuisine avec Denys et Marisol. La spécialité ici est la Huatia, cuisine au four creusé dans la terre. Un des aliments phares est le chuño, une pomme de terre déshydratée.
Le goût est… particulier, j’avoue que je m’accroche pour terminer les portions généreuses qu’on me sert, mais c’est une méthode de conservation ingénieuse et je me rends compte qu’on pourrait bien apprendre certaines de ces techniques. Comme l’utilisation de crottin de lama comme combustible (j’imagine que cela fonctionne aussi avec celui d’animaux un peu plus fréquents chez nous), du parfait recyclage !





"À la cueillette de la feuille de coca, dans la chaleur des Yungas"
Je descends de mes hauteurs vers la région pré-tropicale des Yungas. Un petit air d’Amazonie à Coroico, pour retrouver un peu de chaleur et une végétation verte et luxuriante. Je pars à la rencontre des planteurs de café et de coca, une religion par ici. Yawar, le papa de Tania, ma colocataire à La Paz, m’accueille chez lui, à Suapi, au milieu des vergers d’agrumes.
Un air de sobriété heureuse
En prenant les transports en commun, en vivant chez l'habitant, en prenant le temps de l'échange et du respect du rythme de vie, des saisons, je me rend compte que l’on s’ouvre à un voyage plus sobre, à une vie plus simple, centrée sur la Terre et le besoin de repenser notre environnement. Les Andins semblent être le modèle de Pierre Rabhi et de sa sobriété heureuse. Ce sont des maîtres de la résilience. Seraient-ils modernes sans le savoir ?