LA KANTUTA TRICOLORE
La Kantuta, la fleur aux couleurs du drapeau national bolivien
Il y a très longtemps déjà, deux souverains très riches et très puissants, dont les vastes domaines étaient limitrophes, existèrent au Kollasuyo …
Le noble Illampu gouvernait des millions de sujets sur les terres du nord ; il était connu pour ses richesses et pour ses armées invincibles. Ce souverain avait un fils, qui était son orgueil ; prénommé Etoile Rouge, parce qu’une étoile rouge qui était apparue précisément le jour de sa naissance. Il était beau et plein de vertu ; cela lui valait l’amour et l’estime de tous les habitants de l’empire. Malgré sa jeunesse, il avait commandé les armées de son père et avait obtenu des triomphes glorieux grâce auxquels il avait repoussé les limites de l’Etat jusqu’aux confins des inexplorées régions de Mapiri et de Caupolicán.
L’autre roi, qui dominait aux terres du sud, s’appellait Illimani ; il était aussi riche et puissant que son voisin, ou presque... Ses armées étaient également connues pour leurs innombrables triomphes, et avaient fait de lui le maître des fertiles vallées des Yungas d’où il recevait périodiquement d’immenses chargements de cacao et de coca, ainsi qu’une variété des fruits des plus savoureux.
Illimani lui aussi avait un fils du même âge que celui de son voisin. Son nom était Rayon d’Or, parce que le jour de sa naissance, on observa dans le zénith une petite étoile dorée qui devenait plus grande au fur que le petit prince venait au monde. Plutôt que la guerre, ce prince avait une prédilection pour les affaires d’état. Depuis qu’il était enfant, il avait consacré ses talents à augmenter, par le travail et le commerce, les trésors de son père et la richesse de son Etat. Il était charitable et son plus grand plaisir consistait à aider les pauvres et à consoler les malheureux. Pour cela, le peuple l’idolâtrait.
Les deux rois étaient nés eux aussi sous l’augure de leurs étoiles respectives, qui étaient constamment observées par les devins impériaux.
Illampu était né sous la protection d’une immense et brillante étoile à l’éclat très blanc et que l’on voyait chaque nuit au zénith depuis la capitale, c’est à dire exactement au dessus de la résidence du souverain. Chaque nouvelle victoire de ses armées, ou chaque progression de son empire étaient marqués par une splendeur et un éclat plus grands de l’étoile, toujours accompagnée d’une très belle et petite étoile rouge que l’on pouvait observer dans le ciel depuis la naissance du prince héritier.
Illimani, le souverain au sud, suivait lui aussi avec anxiété les progrès de son astre préféré, dont l’éclat était blanc et resplendissant. Il notait lui aussi avec satisfaction que sa splendeur augmentait en fonction de la prospérité de son empire. A côté de l’étoile blanche d’Illimani, brillait la plus petite mais rayonnante étoile dorée, symbole de la destinée de son fils.
Le temps s’écoula. Les deux Etats, gouvernés avec équité par leurs souverains respectifs, progressèrent peu à peu, sans obstacles ni conflits. Au ciel, entre des milliers d’étoiles, les deux astres blancs et les deux petites étoiles qui les accompagnaient, se détachaient de plus en plus.
Mais peu à peu, les deux souverains sentirent que l’envie et l’ambition s’éveillaient dans leurs esprits. Chacun d’eux avait une profonde jalousie de la prospérité de l’autre. Comme cette prospérité se marquait dans l’éclat des étoiles, tous deux sentirent un violent désir d’éclipser l’éclat de l’étoile symbolique de son rival.
Illampu fut le premier à succomber à la furie de l’envie. Comme il ne voyait pas comment faire triompher son égoïsme, il décida d’appeler ses conseillers et yatiris pour leur demander leur avis.
Pendant la nuit du jour de la première réunion, les savants observèrent attentivement les deux étoiles à travers l’artère tranchée d’un lama dont ils se servaient comme d’un étrange télescope.
Quand, le jour suivant, les savants se présentèrent chez Illampu, l’un d’eux lui dit :
Illustre souverain, nous avons observé avec attention l’éclat des deux étoiles. Tu peux encore être fier. A présent ton étoile a plus d’éclat que celle du sud, mais fais très attention parce que celle de ton rival est en train de gagner en éclat, et elle sera peut être bientôt aussi brillante que la tienne.
Et peut être qu’après, elle sera plus belle que la mienne ! murmura Illampu, taciturne.
A la suite de quoi, comme enragé, il s’exclama avec détermination : " Eh bien, cela ne sera pas ! "
Comme sa colère troublait son jugement, il demanda l’avis de ses serviteurs et leur dit :
Que me conseillez vous de faire pour détruire l’étoile de mon rival ?
Seigneur et souverain, répondit un autre yatiri, tu sais qu’en notre condition de mortels, nous ne pouvons rien faire contre ces astres qui sont si hauts, nous ne pouvons même pas les atteindre.
Je le sais. Mais vous connaissez beaucoup de secrets et de sortilèges, et vous pouvez me montrer une manière de la détruire.
Mon prince souverain Illampu, dit un autre yatiri, tu sais bien que cette étoile là n’est qu’une représentation et le symbole du bonheur et du pouvoir d’un mortel fortuné ; alors je crois que l’on peut l’éclipser si l’on détruit l’homme dont elle protège la vie.
Tu as raison. Tu as parlé sagement, et ton conseil est très efficace. C’est assez, retirez vous, ordonna le souverain.
Et, pendant que les yatiris se retiraient, l’ambitieux Illampu, dans sa chambre, commença à étudier un terrible plan pour détruire son rival.
II Haine à mort pour l’éclat de deux étoiles
Dans les deux empires, la vie des habitants, si paisible et si heureuse jusqu’alors, changea complètement. Personne ne s’occupait plus de labourer la terre au son de la musique et des chansons ; personne ne se donnait plus la peine d’être bon et de souhaiter le bien des autres ; on ne pensait plus qu’à fabriquer des armes mortelles et à préparer des munitions pour la destruction de la vie. Au lieu de chansons champêtres, on entendait des hymnes de guerre ; au lieu d’enseigner aux enfants à aimer les autres, on leur prêchait qu’ils devaient haïr à mort le peuple qui se trouvait de l’autre côté des frontières ; les fruits de la récolte n’étaient pas ramassés en bénissant la terre, mais des flèches et des armes étaient accumulées pendant que chacun jurait de tuer l’ennemi.
Illampu, seigneur et roi des terres au Nord, avait déclaré la guerre et promis l’extermination d’Illimani, souverain des terres au Sud. Ce dernier, bouffi de vanité et d’orgueil, avait répondu avec arrogance à son rival, et s’apprêtait aussi au combat.
Finalement, lorsque tous deux eurent terminé les préparatifs de guerre, les deux troupes partirent formidablement armées, commandées par leurs rois.
Illampu, hautain, en tête des troupes du Nord, attendait avec anxiété le jour de la bataille. Il était sûr de la supériorité de son invincible armée.
Illimani, commandant ses troupes, avait la même certitude.
Lorsque le jour de la bataille arriva, les deux armées avaient campé tout près l’une de l’autre et avaient pris leurs positions sur une vaste plaine qui était précisément sur la frontière des deux Etats.
Le roi Illampu, plus impatient que son ennemi, se pressa de mettre ses troupes en ordre de bataille et ordonna immédiatement l’attaque. L’avant garde de son armée était formée par les fameux archers, qui lancèrent sur leurs ennemis des milliers de flèches empoisonnées. On répondit avec des pierres habilement lancées par des frondes. Le combat se généralisa rapidement. Les soldats, avec une fureur longtemps contenue, s’élancèrent les uns contre les autres, pour tuer ou mourir.
De leur côté les souverains, comme s’ils n’étaient pas encore satisfaits de voir un tel acharnement, parcouraient les lignes et excitaient leurs guerriers.
Le combat avait duré tout le matin et une partie de l’après midi, et la victoire ne se décidait pas. Alors Illampu, voulant tout risquer, rassembla le meilleur de ses troupes et, se mettant en tête pour donner l’exemple, s’élança avec ses soldats contre le centre des forces ennemies, dans un élan sauvage.
Les armées d’Illimani, étonnées, reculèrent. On aurait dit que leur défaite approchait. Alors le souverain, dans un effort désespéré, mettant de l’ordre dans ses lignes et prenant le devant, décida de repousser l’ennemi, presque déjà victorieux.
Dans le chaos provoqué par la contre offensive, les deux princes rivaux se trouvèrent soudainement face à face. Immédiatement chacun d’eux demanda son arme et s’élança contre l’autre. Illimani, expert frondeur, fit tourner vertigineusement sa fronde et lança la pierre qui bourdonna brièvement avant de frapper Illampu à la tête.
Celui-ci tomba par terre, mortellement blessé. Totalement désemparées, les troupes du Nord reculèrent, pendant que les guerriers les plus proches tentaient d’assister leur souverain.
Les guerriers du Sud criaient déjà victoire, et Illimani, complètement sûr de sa victoire, continuait d’avancer jusqu’à l’endroit où son rival était tombé, avec l’intention de le faire prisonnier de ses propres mains.
Avec grande difficulté, Illampu, s’essuyant le sang qui coulait de sa tête et l’aveuglait, saisit l’arc de l’un de ses serviteurs, y chargea une flèche et, au bord de la défaillance, dans un effort surhumain, dirigea son arme contre celui qui approchait victorieux. Illimani, étonné, n’eut pas le temps de réagir pour éviter la flèche. Elle pénétra profondément dans sa poitrine et le fit chuter jusqu’à terre.
Une fois de plus, ceci changea complètement le sort de la bataille. Les deux armées, démoralisées et aussi exténuées l’une que l’autre par ce combat qui durait depuis des heures, décidèrent de s’arrêter, pour pouvoir ainsi secourir leurs chefs mourants, relever les blessés et enterrer leurs morts.
Comme la condition des deux souverains était très grave, les troupes retournèrent en toute hâte à leur capitale respective pour essayer - si possible - de sauver la vie de leur roi.
Le champ de bataille était ensanglanté et couvert de dépouilles humaines, victimes qui avaient sacrifié leurs vies seulement pour l’éclat d’une étoile lointaine. Ce n’était que la vanité des puissants, payée au prix si cher de nombreuses vies perdues pour toujours.
III La vengeance des pères, destin sanguinaire et tragique de leurs fils
Lorsque l’armée d’Illampu revint à sa capitale avec son souverain mourant, la fatale nouvelle se répandit dans toute la ville, dans la consternation générale et les lamentations. Rassemblé autour du palais royal, le peuple pleurait la mort des siens et la prochaine et inéluctable disparition de son roi.
Pendant ce temps là, dans la chambre royale gisait le roi, entouré de yatiris qui s’efforçaient en vain de maintenir avec leurs remèdes la vie qu’abandonnait lentement le corps de leur seigneur. Tous les savants finirent par déclarer unanimement que le souverain allait bientôt mourir. Celui-ci, dans l’angoisse de sa douloureuse agonie, appela son fils et successeur pour lui dicter sa dernière volonté.
Etoile Rouge, qui était encore un enfant, était désespéré par la peine, et se rendait compte du tragique du moment. Pleurant dans les bras de son père mourant, il lui fit un douloureux reproche :
Mon père, pourquoi est-ce que tu ne m’a pas écouté ? Quel besoin avions nous de bouleverser la tranquille prospérité de notre empire par les malheurs d’un combat dont le propos n’était que d’éclipser l’éclat d’une étoile ?
Le mourant, au lieu de se montrer raisonnable et de reconnaître son erreur fatale, blasphémait contre l’ennemi et jurait avec colère que, s’il ne mourait pas, il reviendrait à la tête de ses troupes pour châtier cruellement l’empire du Sud.
Mais quand Illampu sentit que sa dernière heure était arrivée, il appela les hauts dignitaires de l’empire et leur dit :
Je meurs irremédiablement. Je voudrais bénir l’avenir de mon royaume, mais je n’ose pas. Mon fils, qui va me succéder, n’a pas le courage de venger l’humiliation que nous venons de souffrir.
Non, mon père, je n’ai jamais dit ça, dit le prince en sanglotant.
Si, dit le roi, parce qu’en reprochant ma conduite, tu as montré que tu n’es pas d’accord avec l’obligation que je te laisse. Si tu veux que je meure en paix, jure moi que tu me vengeras.
Mon père, dit Etoile Rouge, angoissé, comment est-il possible que tu insistes pour laisser à ton fils et ton empire cette terrible dette qui n’est qu’un vain orgueil ?
Lâche ! Tu as peur de mourir comme moi !
Non, mon père. Ne me maudis pas. Je ferai mon devoir, mais en rétablissant la paix et la prospérité qu’en ces malheureux moment nous avons négligées.
Sois maudit ! s’exclama le roi, pendant que la mort se montrait déjà sur son visage.
Pitié mon père ! Si je suis maudit, mon autorité ne sera pas acceptée par le peuple
Alors, jure d’accomplir ce que je te demande, répondit Illampu, les yeux démesurément ouverts.
Le prince, ecartelé entre sa conscience et de son devoir d´héritier, sanglotant sur son père mourant, s’exclama :
Oui, oui mon père. Je le jure. Je jure que je vais noyer en sang et en mille horreurs ce peuple là. Je le jure sur ton corps.
Comme si c’était l’unique chose qu’il voulait entendre, Illampu mourut en exhalant son ultime râle.
Pendant que ceci survenait dans l’empire du Nord, des événements identiques secouaient la capitale de l’empire du Sud.
Illimani, mortellement blessé, avait réuni le Conseil de l’empire et, avec ses conseillers pour témoins, avait obligé son fils Rayon d’Or à prêter le même serment de haine et d’extermination. Les sages réflexions du prince héritier avaient été vaines.
Les deux rois, pleins de rancune, voulaient à tout prix laisser leurs peuples et leurs fils enchaînés à une terrible dette de sang et de destruction.
Alors, les préparatifs de guerre d’antan recommencèrent dans les deux empires, à peine terminées les cérémonies funèbres célébrées pour la mort d’Illimani et celle d’Illampu.
IV Une guerre comme tant d’autres, dans laquelle des hommes qui ne se haissent pas sont tués pour défendre un mensonge
Une fois de plus les hommes, avec une ardeur criminelle, préparaient des armes mortelles et accumulaient des munitions. Et encore une fois, les vrais besoins du peuple et de l’avenir avaient été oubliés. On se préparait à nouveau à la cruelle entreprise de semer des ruines sur la terre, et des larmes dans les foyers.
Comme avant, une fois les préparatifs terminés, l’armée du Nord partit, à la recherche de l’ennemi du Sud, et celui-ci de même, cherchant le rival, tous prêts à s’anéantir les uns les autres.
Les soldats des deux armées étaient les victimes de toujours. Ils ne se rendaient pas compte qu’ils allaient, fougueux, verser inutilement leur sang en défense d’un grand mensonge, et pour le seul orgueil de deux ambitieux rois qui n’étaient plus.
Les seuls qui pouvaient se rendre compte de la monstruosité à venir, du fait de leur parfaite éducation et surtout en raison de la grandeur de leurs âmes, étaient les deux enfants qui dirigeaient à contre cœur les armées, mais qui, enchaînés par leur serment, allaient lutter avec acharnement.
Sur la frontière des empires, dans cette même plaine où leurs pères avaient été blessés quelque temps plus tôt, les deux jeunes souverains s’apprêtaient à présent à livrer la sanguinaire bataille.
Le jour du combat arriva, mais aucun des deux chefs ne voulait attaquer le premier. Il semblait que chacun d’eux espérait que l’autre soit le provocateur.
Le soleil était au zénith et les deux armées, impatientes de tuer l’ennemi, attendaient avec anxiété l’ordre de leur roi, qui n’arrivait pas.
Finalement, il fallut combattre. Les troupes se mobilisèrent en même temps et la bataille commença.
La rancune et la colère des hommes se réveillèrent, extrêmement féroces, avec le choc des postes avancés et les premiers blessés. Les cris de douleur et l’odeur du sang humain enivrèrent même les chefs. Il n’y avait pas de pitié. Tous étaient comme des bêtes assoifées de sang.
Des milliers de guerriers avaient été blessés que d’autres continuaient à tuer ou mouraient sans jamais reculer. L’infernal élan de haine fut tel que, la nuit tombée, des deux fabuleuses armées il ne restait plus que quelques hommes blessés qui entouraient leurs rois.
Le combat ne cessa que quand, dans l’obscurité de la nuit, les survivants ne pûrent se reconnaître pour continuer à s’affronter.
V Dans l’âpreté du combat, la noblesse de deux enfants fleurit avec une beauté extraordinaire
Quand la pâle aurore arriva, les deux groupes, dirigés par leurs imberbes souverains, continuèrent le combat. Arriva le moment où Etoile Rouge et Rayon d’Or furent obligés de combattre face à face. S’ils se dérobaient, ils seraient pris pour des lâches. Aussi il se séparèrent du groupe de guerriers qui les protégeaient, l’un avec son arc et sa flèche, l’autre avec la fronde, comme l’avaient fait leurs pères avant eux, et comme leurs pères au même endroit, ils se blessèrent mortellement en même temps.
Les serviteurs, hurlant d’horreur, s’élancèrent pour porter secours à leurs souverains.
Les deux jeunes hommes, la candeur de l’enfance inscrite sur leur visage, étaient mortellement pâles, mais au lieu de blasphèmes et de rancune, ils prononcèrent doucement des mots d’un généreux pardon l’un pour l’autre. La dette était payée. Il ne restait rien à faire pour accomplir l’horreur du serment.
Avec cette même pensée, Rayon d’Or et Etoile Rouge demandèrent à leurs serviteurs de les mettre l’un à côté de l’autre. Alors tous deux, dans une étreinte immensément sublime, scellèrent la tragédie vécue par leurs peuples.
La légende dit qu’à ce moment, un événement extraordinaire se produisit. Du sein de la terre, on entendit un formidable fracas. La surface de la terre s’ouvrit, et de l’abîme noir, une immense forme de femme apparut. C’était le Génie de la Terre, la Pachamama.
Sa majestueuse forme était auréolée d’une douce lumière qui descendait du ciel, et où l’on pouvait voir des étoiles au lever du jour. Elle montra aux mortels toute sa splendeur de déesse.
Elle s’approcha solennellement les deux enfants mourants et leur dit :
Vos pères, qui ont causé tant de dégâts, vous ont contraints à une guerre criminelle et injuste. Mais je vais punir leur orgueil. Regardez !
Et elle leur montra au ciel, deux étoiles qui commencèrent à pâlir. C’étaient les étoiles qui symbolisaient le pouvoir de leurs pères.
Rayon d’Or et Etoile Rouge, levant leurs têtes sanglantes vers le ciel, observèrent comme les deux étoiles commençaient à frémir, comme si on les faisait tomber du ciel.
Un instant plus tard, elles furent précipitées à terre. On entendit une terrible explosion. Les étoiles d’Illimani et d’Illampu, devenues des masses inertes et opaques, mais blanches comme la neige, étaient tombées à terre sur leurs respectives capitales, s’incrustant dans les rochers des Andes, l’une d’elles au Nord, l’autre au Sud.
Quant à vous, ajouta la Pachamama, enfants innocents qui n’auraient jamais dû servir la criminelle ambition de vos pères, après votre mort, par l’éclat de vos étoiles rouge et or vous deviendrez le symbole d’un peuple qui habitera ici dans l’avenir. Ce peuple choisira pour son drapeau les couleurs rouge et jaune, et les attachera au vert, qui signifie l’espoir. Ces trois couleurs seront symbole d’amour et de fraternité, mais honni soit ce peuple si, comme vous, il alimente des rivalités à cause de l’éclat d’une étoile lointaine, ou s’il est divisé par des querelles régionalistes.
Le Génie de la Terre disparut en même temps qu’au loin, le soleil éclairait le ciel de ses rayons dorés.
Les deux jeunes princes moururent en même temps. La mort avait rendu leur étreinte encore plus serrée. Leurs serviteurs n’osèrent pas les séparer, et decidèrent de les enterrer dans un même tombeau.
Dès la nuit suivante, les deux petites étoiles rouge et or descendirent du ciel pour venir sur la terre et accomplir leur rôle symbolique.
VI La fleur de la réconciliation naît au milieu des débris de la terre
Longtemps après, dans ces terres désolées et désertes, l’Illampu et l’Illimani, les deux plus hautes montagnes, continuaient à faire ostentation de leurs sommets élévés, comme s’ils continuaient le combat de leur vieille rivalité. Mais ils avaient été punis par la Pachamama, et devaient pleurer leur faute avec l’éternel dégel de leurs neiges. En fondant, avec leurs pleurs, ils libérèrent les eaux de leurs ruisseaux cristallins, à travers les plaines et les chaînes de montagnes, jusqu’à féconder avec leur fraîcheur la terre qui gardait le tombeau des deux princes réconciliés. Au contact des eaux de ces montagnes sur le tombeau légendaire, une plante verte et tortueuse bourgeonna. Ses branches emmêlées semblent représenter une étreinte affectueuse. Au printemps, cette plante se couvre de bourgeons rouge et or, les couleurs descendues des astres d’Etoile Rouge et de Rayon d’Or. Les bourgeons forment un bel ensemble tricolore avec le vert des feuilles.
Tel que la Pachamama l’avait dit, quelques siècles après, un peuple qui s’était formé à cet endroit, choisit cette fleur et ses couleurs comme son symbole et son emblème.
Traduit de Antonio Díaz Villamil, Leyendas de mi tierra, Editorial América srl, La Paz